• Loin de la Rue - chapitre 1

     

     

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    Chapitre 1
     

     


    La rue était déserte. Enfin rue était un bien grand mot. C’était plutôt une impasse où se mêlaient des bâtiments en ruine et des terrains vagues. Ce qui était curieux c’était qu’à deux rues d’ici se trouvaient des hôtels très chics et des boutiques de luxe.

    Comment pouvait-on envisager que deux endroits si différents soient si proches l’un de l’autre ?

    Il commençait à faire froid et j’espérais avoir du temps pour me préparer à passer encore une fois un hiver dehors.

    Oui je vivais dans la rue, j’étais comme on disait une sans domicile fixe, une sdf pour abréger et je n’avais que 19 ans.

    Ce qui me servait de maison n’était autre que des morceaux de cartons et des bâches. Je n’avais rien à part une montre à goussets qui avait appartenu à mon grand-père et que je cache précieusement dans la poche de mon pantalon, un livre de contes pour enfant que ma mère me lisait chaque soir et une boîte en fer rouillée dans laquelle quelques photos, des clefs et quelques lettres se mélangeaient. Tout mon trésor était rangé dans un sac à dos bon marché qui ne me quittait jamais, même pour dormir.

    Cela faisait trois ans maintenant que je n’étais plus à ma place au sein de la société. Trois ans de galère et d’angoisse. Bien sûr j’aurais pu comme certaines me prostituer afin d’avoir un toit et surtout un protecteur mais plutôt mourir que de succomber à ce genre de choses. Pour moi ce n’était pas concevable même pour une douche ou un steak bien saignant. J’avais été élevée avec certains principes et je mettais un point d’honneur à ne pas faire honte à la mémoire de mes parents.

    Il était six heures du matin et je déambulais dans les rues de Seattle à la recherche d’un petit boulot que certains commerçants proposaient à des gens comme moi pour faire leur sale boulot. Tous les matins c’était la jungle et les premiers arrivés étaient les premiers servis. Le vent glacial me fouettait le visage et me glaçait les membres. Mon blouson n’avait plus de fermeture éclair depuis longtemps et j’étais obligée de le maintenir fermé avec mes mains. Je contournais les quartiers chics pour rejoindre ceux un peu plus modestes, là où nous n’étions pas autant des perstiférés. Je regardais au loin et remarquais que certains étaient déjà là, suppliant les commerçants de leur donner un travail.

    Moi je commençais à avoir mes habitudes et la première boutique que je faisais était une vieille librairie où un vieil homme, Monsieur Blackwells, me faisait trier de vieilles brochures.

    Je regardais à droite et à gauche espérant ne pas me faire remarquer et à l’ouverture de la porte une petite cloche s’est mise à tinter.

    - Alice. Rentre mon petit, tu as l’air frigorifié ?

    - Merci monsieur. Mais je venais juste voir si vous aviez besoin de moi.

    - Justement on vient de me déposer tout un carton de revue. C’est écrit tellement petit que ça va me prendre une éternité pour les trier. Tu connais le chemin ?

    J’acquiessais de la tête et le remerciais avant de me diriger vers le fond de la boutique, cachée derrière les rayonnages se trouvait une chaise, et un carton y avait été posé.

    La journée avait passé très vite et monsieur Blackwells m’avait même offert son sandwich sous prétexte que sa femme Anna croyait encore qu’il avait un appétit d’ogre. Mais ce n’était pas vrai, il savait que s’il m’avait montré de la pitié je n’aurais jamais accepté son modeste repas. Ce que j’aimais chez lui c’était qu’il ne posait jamais de questions, jamais il ne m’a demandé pourquoi j’en étais arrivé là.

    Je devais revenir à la librairie le lendemain pour finir ce que j’avais commencé et je rentrais vers mon abri serrant dans ma main les cinq dollars que j’avais gagné.

    Je n’étais pas la seule à vivre dans la ruelle. D’autres personnes comme moi se disputaient le moindre recoin. Certains de ces êtres immondes me barraient le chemin pour me demander combien j’avais gagné, et comme à chaque fois je leur mentais. Je ne voulais pas qu’ils viennent me voler pendant la nuit.

    - Aujourd’hui j’ai eu trois dollars mais j’en ai déjà dépensé deux pour la nourriture, lui dis-je le cœur battant en leur montrant le sac en papier que je tenais.

    - Eh ! Putain Alice ! T’as fini de te faire arnaquer ? Il faut les embrouiller avec ta belle gueule d’ange, me dit Carl gentiment.

    Carl devait avoir dans les cinquante ans. Enfin je ne lui avais jamais demandé et vivre dans la rue vieillissaient les hommes et les femmes prématurément. C’était un des anciens et lorsqu’il était dans les parages les autres me laissaient tranquille.

    - J’ai eu de la nourriture ce midi, ça compte, rajoutais-je.

    - Ouais mais je te le répète tu es en train de te faire avoir. Mais c’est ta vie hein ?

    - Oui, c’est ça, c’est ma vie.

    Après un signe de la main il m’a laissé rejoindre mon abri de fortune. J’étais contente malgré tout car lorsque l’on s’absente il y a un risque de trouver quelqu’un qui s’est approprié votre emplacement avec tout ce qu’il contient. Je pensais que Carl avait fait passé le message et que c’était pour ça que pour l’instant personne n’avait réussi à me déloger. Mais tout peut arrivé alors je ne laissais que mon duvet.

    Je m’installais tant bien que mal dans l’espoir que cette nuit ne soit pas la dernière. Je regardais dans mon sac en papier et y retirais le saucisson, le pain, les deux pommes et la bouteille d’eau. Un vrai repas de fêtes.

    Puis m’emmitouflant dans mon duvet ne laissant à l’air libre que ma bouche et mon nez je me préparais à dormir espérant que mes rêves m’emporteraient vers un monde où je serais enfin heureuse.


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